la fille du bûcher.

Lyrisme inspiré par les flots discontinus d’une fontaine de Jouvence teintée de liqueur. Les éphèbes charment, dansent presque sur le rythme alanguit d’une vieille musique rappelant un rite mystique, slalomant entre les corps qui s’affrontent et se percutent durement. Une guerre de l’érotisme, du charme, de la grâce que l’on abandonne du bout des lèvres et des langues de serpents. Et l’agneau se perd dans ce nid de reptiles aux yeux pers qui perçoivent déjà le prochain sacrifice qu’ils entameront. Ô douce porcelaine aux veines bleutées, cuisses lézardées de résilles, soie pourpre à l’ourlet flirtant dangereusement avec les limites de la dentelle à peine dissimulée, reins creusés et dévoilés par l’absence de matière, l’enchanteresse est habillée de provocation, elle, l’innocente Pandore ayant apportée sa jarre de péchés. Entre ses doigts flottent le cancer et l’hépatite, les rires sonnent ivres et charmeurs, ricochants contre des palabres peu sincères. Oui, Iseult leur sourit de cette esquisse d’angelot perdu quand l’obscurité des prunelles où les étoiles ne cessent jamais de brûler conte une autre histoire loin de la maigre chasteté dont font preuves ses lèvres dénuées de futiles artifices. Sous les néons orangés d’un luminaire accroché au plafond veinés de craquelures, les visages  s’illuminent, s’assombrissent, les ombres jouent des moindres mouvements, peignant la laideur, cachant les vices ou les glorifient davantage. Tout n’est qu’un jeu de facette, d’ombre et de lumière, de Bien et de Mal. L’Enfer côtoyant le Paradis, s’y confondant jusqu’à n’être plus qu’un imbroglio de paradoxes colorés.

Et toi, Iseult ?
Qui vas-tu glorifier de ces deux ignorants aux reins rongés par le vice ?
Qui périra le premier sous tes hanches avides et tes lubies assassines ?
Qui mourra à force d’espoirs que tu finiras par crever, malgré toi ?
Il n’y en a aucun qui, dans cette foule, ne pourrait égaler,
L’impérial prince noir qui règne sur les contrées de ton corps glacé.

Il fait toujours trop froid loin des mains du roi, comme si la mort se drapait alors d’audace pour venir l’étreindre au plus mauvais moment. Solitude terrible, c’est dans les moindres prunelles scrutées qu’elle le cherche en une sempiternelle quête qui ne trouve nulle fin. Ismaël, virtuose aux doigts élégants, il a apprit par cœur à jouer des cordes de l’instrument fragile qu’est ce bout de chair battant sous les ergs timides que la soie pourpre couvre avec peine. Ses traits que l’enfance n’a pas quitté jouent des yeux qui la scrutent, fondant sur la chair pâle exposée comme un bijou insaisissable. Ils l’aiment et la veulent comme ils en voudront d’autres. Ce soir, elle sera la putain et le lendemain, à peine un nom, une couleur, un son inaudible.

Iseult l’oubliée,
Iseult, nom méconnu,
Iseult, maladie gommant inlassablement son passage des vies qu’elle traverse,
Iseult, tu n’es que le fantôme des hommes avilis,
Un parfum terne, une beauté banale, un coup moyen,
Vouée, fatalement, à disparaître.

La maudite est amère ce soir, l’être effleuré par le désir infernal qui erre dans les moindres dédales du corps, frustrée comme ces muses que leurs peintres ne regardent plus, s’égarant là où elle pourra trouver la perdition. Les cuisses sont légères, couvant l’ire chaleureuse et marécageuse de son ventre creux, les couloirs brumeux plus jamais visités par les plus curieux, par le roi des lieux, par ces âmes de passages qui refusent de hanter l’immense château abandonné qu’elle est devenu. Une mère s’y est un jour posée et depuis tout y passe, comme pour punir ce temple sacré d’avoir été ainsi profané. Il ne mérite que la douleur et la violence, que la baise animale où les râles sont tonitruants, des chants de guerre hurlant sa rage au monde. Il ne méritera jamais la douceur. Comme une fatalité, elle détourne ses yeux des types blafards qui lui font face, cherchant avidement l’absent dans la masse informe des corps qui s’alimentent à la médiocrité, les reins contre le dossier d’un canapé miteux, ses doigts faisant craquer le plastique rougeâtre d’un gobelet presque vide, comme se craquelle le cœur fragile de ne pas le percevoir ni le sentir. Troisième ou dixième verre, elle peine à s’en souvenir. D’ailleurs qu’importe, elle s’enivrera jusqu’à l’anesthésie finale.

Partout où elle passe, elle se met à sa recherche, ne respirant qu’à moitié, fleur fanée voyant les autres âmes éclore contre les murs, épineuses, toxiques, carnivores, les autres se dévorent quand elle demeure timidement immobile, comme une mauvaise herbe que seule la vermine viendra visiter. Les paupières brûlent quand le manque la percute, un poing enragé plongeant dans le creux de ses entrailles. Tremblements du cœur et du corps, on dit son nom mais elle ne l’entend déjà plus, les yeux aveugles arpentant le vide, gommant les traits des insignifiants pour ne trouver que lui, une gorgée amère venant noyer ce prénom gravé sur sa langue, qu’elle ne peut que décimer en rime, soupir, gémissement, plainte et sanglot, arc-en-ciel tragique et érotique.

Bien sûr, elle ne trouve rien et la maladie du désespoir la pousse à revenir observer ces êtres sans importance. Car eux aussi ne sont rien, de la poussière dans le grenier de son esprit où l’écho effroyable de la solitude revient, où les souvenirs s’entassent et ne veulent plus rien dire. Alors comme tout n’a plus de sens cette nuit, elle leur sourit, pour rien, pour tout, pour pas grand-chose. De ses paupières qui s’alourdissent d’un charme vipérin, elle quémande une condamnation à l’un d’eux, leur laisse un temps d’avance pour choisir qui des deux sera le premier à la noyer dans la mer blanche des draps d’un lit au propriétaire méconnu, à laisser courir langue et phalanges cornées sur sa peau d’enfant troublée.

De combien d'hommes devrais-je abuser avant que tu ne m’uses toi-même ?
Ne m’en veux pas, Ismaël, d’essayer de t’avoir au travers d’eux
ne me châtie pas,
prince de cette vie et de toutes les autres,
pour cette énième trahison,
tue moi plutôt, pour oser, encore une fois,
croire que la nuit pourra m'offrir l'oublie.